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Éric Verdeil
Agrégé de géographie (1994), diplômé en urbanisme, docteur en géographie (2002), Eric Verdeil est... En savoir plus sur cet auteur
Dimanche 26 Mai 2013

Proche-Orient : Le pouvoir, la terre et l’eau de Pierre Blanc



Proche-Orient : Le pouvoir, la terre et l’eau de Pierre Blanc
 Auteur : *Pierre Blanc
 Edition : Les Presses de Sciences Po
 Nombre de pages : 400
 ISBN-102-7246-1261-2
 Prix : 28€ 



L’ouvrage de Pierre Blanc, issu d’une thèse d’HDR, constitue une synthèse des enjeux géopolitiques de l’agriculture et de l’irrigation au Proche-Orient, entendu comme l’ensemble regroupant le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et les territoires palestiniens ainsi que l’Egypte. Agronome de formation, l’auteur a exercé dans le domaine de la coopération agricole dans plusieurs de ces pays tout en menant par ailleurs des recherches géopolitiques sur Chypre dans la lignée de l’approche lacostienne. Il offre ici une réflexion inédite sur les fondements géographiques des conflits que connaît cette région : s’attacher à la terre et à l’eau est un moyen de mettre à bonne distance tant la question des identités religieuses et ethniques qu’une lecture en termes de rapports internationaux de puissance, et de réintroduire dans le questionnement d’indispensables dimensions socio-économiques et territoriales qui inscrivent la recherche dans une démarche empirique solide. 

 Le livre se structure en deux grandes parties qui abordent successivement les rivalités foncières puis les enjeux du partage de l’eau, à travers des chapitres nationaux ou groupant l’étude de deux pays (par exemple les réformes foncières syrienne et égyptienne ; ou les rivalités pour la terre en Israël/Palestine). Le résultat est une succession de textes denses, bien informés, reliant les grandes articulations de l’histoire économique et sociale du vingtième siècle et les transformations plus récentes. L’analyse est nourrie d’une abondante bibliographie francophone et anglophone, de différentes disciplines, ne négligeant pas les travaux fondateurs parfois anciens. Est ainsi livrée au lecteur d’une série de synthèses (bi-)nationales particulièrement utiles et ré-exploitables, illustrées de cartes originales. On regrettera simplement ici que l’auteur, peut-être pour des contraintes éditoriales, ne fournissent que peu de données statistiques (pas toujours fiables il est vrai).

Ces qualités d’exposition sont renforcées par une grande finesse d’analyse liée à une connaissance directe du terrain. Ainsi, au Liban, l’auteur montre très bien, en relatant ses entretiens avec plusieurs ministres successifs de l’Agriculture, comment les velléités réformatrices en faveur d’une plus grande justice sociale, incarnée aujourd’hui notamment par le Hezbollah, se heurtent au poids des grands propriétaires fonciers qui refusent avec force la remise en cause du caractère annualisé du contrat de métayage, ce qui rend impossible les investissements nécessaires à la modernisation des cultures. L’auteur est également convaincant dans son analyse d’une relative exception jordanienne en matière d’inégalités foncières, ce qu’il met en relation avec la stabilité plus grande de ce pays. Au terme d’une utile revue de la littérature sur la géopolitique de l’eau, Pierre Blanc préfère parler de violences hydrauliques, plutôt que de conflits. S’il ne néglige pas les dimensions internationales (bassin du Nil, relations syro-turques), il souligne à chaque fois les enjeux sociaux et territoriaux internes du partage de l’eau. Il met en avant à la fois les représentations culturelles et propres à chaque construction nationale, et les mobilisations et usages politiques qui sont faits de l’irrigation (ainsi, le Bath en Syrie s’appuie sur une base politique rurale, bénéficiaire de ces réformes foncières et de l’ouverture de nouveaux périmètres irrigués). A cette aune, sa lecture du conflit israélo-palestinien, sans sous-estimer les aspects coloniaux de la politique israélienne et les entraves à la souveraineté palestinienne, fait une place originale aux tensions internes à la société palestinienne, en ce qui concerne les inégalités foncières, ou à l’archaïsme des solutions paysannes traditionnelles. De même, les tensions internes au secteur agricole israélien ne sont pas négligées.

Ces qualités n’empêchent pas qu’on puisse adresser quelques critiques à cet ouvrage. Un premier regret concerne la quasi-omission des dimensions les plus concrètes de l’analyse et du terrain. Là où Lacoste étudiait la matérialité des digues et l’implication géopolitique de leur bombardement, Pierre Blanc a le plus souvent gommé ces aspects de son travail, sauf en de rares passages comme la comparaison entre le canal 900 et le canal 800 au Liban – qui tirent leur noms des courbes de niveau respectives, déterminant des périmètres d’irrigation et donc des enjeux socio-économiques spécifiques. Ensuite, même s’il comporte un chapitre intéressant sur les fonctions géopolitiques de l’eau, il manque à la réflexion un retour théorique synthétique reliant les questions foncières et les questions hydrauliques, séparées pour les besoins de l’exposé, et dégageant tendances communes et différences entre ces situations nationales si diverses, du Liban à l’Egypte. En particulier, on attendrait que soit précisée la manière dont se combinent, dans les politiques agricoles, des critères comme la taille des pays, la nature des régimes politiques et les modèles de développement. Enfin, certains enjeux transversaux, comme la concurrence urbain-rural, pourraient être abordés plus frontalement, tant du point de vue foncier que de l’approvisionnement en eau. De même pour la question de l’alimentation: certains auteurs ne font-ils pas le procès des crises agricoles et alimentaires comme l’une des origines des révolutions arabes? Cela impliquerait de revenir sur les politiques néolibérales en matière foncière comme en matière d’irrigation dont on voit bien, par une série de notations dispersées, qu’elles concernent tous les pays de la région mais sans pour autant qu’une analyse en soit faite à travers la question de la mondialisation et des forces socio-économiques qui la propulsent : ici, le rôle des organisations internationales comme celui des firmes transnationales ou locales auraient mérité d’être davantage analysé. A cet égard, il est regrettable que l’auteur ne mobilise pas les travaux d’un Timothy Mitchell (2002) qui, pour l’exemple égyptien, aborde ces enjeux d’une manière très stimulante : attentif à la matérialité la plus fine des ouvrages d’irrigation et à leurs conséquences inattendues (comme le développement de l’anophèle et donc de la malaria), comme aux violences politiques et à la capacité des élites économiques à peser sur les règles pour perpétuer et renouveler leur domination. Les géographes auraient grand profit à méditer le propos de ce genre de politologues.


Site de l'article et de l'auteur : http://rumor.hypotheses.org/3109 (article publié ici avec l'accord de l'auteur).
___________________
Références citées :
Mitchell T., 2002, Rule of experts : Egypt, techno-politics, modernity, Berkeley (Calif.), University of California Press, 413 p.

* Pierre Blanc est enseignant-chercheur au Centre international des hautes études agronomiques méditérannéennes (CIHEAM). Spécialiste du Proche-Orient, il est rédacteur en chef de la revue universitaire Confluences Méditerranée, membre de l'Institut français de géopolitique de Paris-8 et de l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient (Iremmo) de Paris, cf. http://www.pressesdesciencespo.fr 
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